C’est une mauvaise journée. Malgré le soleil qui inonde ma chambre de lumière, je n’ai pas trop le moral. C’est certainement difficile à croire pour ceux qui n’ont pas une relation aussi intime avec moi que Ethan ou Jackson, mais je connais également des mauvais jour. Et aujourd’hui, je file un mauvais coton. J’en ai un peu marre d’être emprisonné ici, dans cette ville à la fois étrange et familière, où on ne peut pas trop savoir quand un danger peut nous tomber sur la tête. Pas un truc mignon comme un garou, mais un démon, en plus. C’est insensé!

Je suis habituellement celui qui dicte aux autres de voir le verre plein et non vide, et qui insiste pour faire de la limonade avec les citrons que notre présence ici nous a offerts, mais pas aujourd’hui. Je suis exténué. Je sais qu’il vaut mieux ne pas se laisser abattre, et poursuivre sa vie comme il le faut. S’occuper et se trouver des objectifs pour ne pas perdre son sentiment d’être utile, ni la tête.  Une abnégation à laquelle je n’ai jamais vraiment eu de difficulté à suivre. Ma jovialité est l’un des nombreux charmes de ma personnalité, après tout.

Mes parents me manquent. L’équipe de crosse et mes potes du lycée me manquent. Ethan me manque. Ma trompette me manque. J’ai cru pouvoir, au moins, agir sur ce dernier point et reprendre un peu de contrôle sur ma vie. J’ai bien trouvé une boutique à quelques rues qui vend des instruments de musique, mais les prix y sont infernaux. Mes parents me manquent d’autant plus que je n’ai pas d’argent.

J’ai noté quelques endroits qui embauchaient. Il y a un café pas trop loin du lycée, et l’épicerie où je vais pour trouver des denrées. Heureusement, je me suis découvert un intérêt pour la cuisine, à défaut d’y avoir du talent.

Je m’étire en soupirant. Un bâillement s’ajoute à l’équation à mon insu. J’ai déjà terminé le premier des exercices supplémentaires du devoir de physique : je mérite bien une pause. Je me lève et sort de ma chambre, assaillit par l’air frais du salon où l’une de mes colocataires a eu la bonne idée d’ouvrir la fenêtre. Sans perdre un instant, je vais m’écraser sur le divan et saisis l’une des manettes sur la table basse. Pendant que la console démarre, je lance l’application de rencontres sur mon téléphone. J’avais oublié cette frustration : habituellement, je chasse mes ex de mes pensées en rencontrant de nouveaux mecs. J’ignore si ils ne connaissent pas l’existence de ces sites ou s’il n’y en a simplement pas, ici, à Multivercity. Néanmoins, mes tentatives ne se montrent jamais réellement fructueuses.  Peut-être le mois prochain, s’il y a une nouvelle arrivée, j’y trouverai un garçon intéressant. Je devrais peut-être en glisser un mot un de ces quatre avec mes camarades de classe, pour voir ce qu’ils en pensent. Les cours d’économie ou de sport seraient appropriés, je crois.

Cela ne doit pas faire plus de deux minutes que je joue avachi sur le canapé – et si l’horloge dit que cela en fait véritablement 34, elle ment – quand j’entends quelqu’un à la porte. Déjà blasé de mon jeu, je le mets rapidement sur pause et, surtout, reprend une posture droite et un sourire publicitaire.

« Salut! » lancé-je d’un ton claironnant dès que s’ouvre la porte.

J’étire mon cou par-dessus le dossier du canapé pour voir s’il s’agit de Robin ou Kate. Ou peut-être les deux, je n’ai aucune idée de quels étaient leurs plans pour la journée.

L’arrivée de Robin me met du baume au coeur, je dois l’admettre. C’est agréable de vivre avec elles. Leurs parcours de vie diffèrent du mien, et s’enrichissent ensemble. Puis, nous avons une bonne ambiance. Je tape le coussin du canapé près de moi pour que Robin vienne s’y installer. L’effet commercial de mon sourire disparaît doucement pour reprendre de son naturel, alors que je souffle ma réponse en soupirant.

« Me reste qu’un exo supplémentaire de physiques à faire, mais j’ai eu la flemme.  C’est Final Fantasy, tu connais? J’vais te montrer mon épée planche de surf, là, c’est ridicule! »

Je rigole doucement tout en lui offrant la manette. Ce n’est pas mon style de jeux habituels et ça paraît : j’en suis déjà un peu blasé. Allez savoir pourquoi callof me parle et pas Final Fantasy, tiens!

« Et toi, ta journée? » Je plisse des yeux. « T’as faim? La pizzeria ne livre pas aujourd’hui, mais j’ai prévu le coup. J’ai acheté de gros pitas, de la sauce tomate et quelques légumes pour en faire maison. Je vais demander à Kate de voir si elle trouve du fromage. »

Je me saisis de mon portable et commence à y pianoter un message. Ce n’est pas un hasard si je n’ai pas acheté le plus cher : viande et fromage. Je ne l’admettrai toutefois pas devant Robin. Si je lui dis que j’envisage de me trouver un emploi, j’ai peur que cela ne crée des tensions. Le cinéma ne m’intéresse pas franchement.